Un projet de reconstitution né d’une exposition
Au cours de l’animation que nous avions réalisé au musée de l’hôpital Notre Dame à la Rose à Lessines, à l’occasion de l’exposition « d’Ambroise Paré à Louis Pasteur », une pièce de reconstitution avait attiré notre attention. Il s’agissait d’un couteau d’amputation d’un modèle en « S » typique, à lame fixe, se rattachant à la tradition médiévale des couteaux d’amputation courbes (censés faciliter l’opération de section des chairs avant sciage de l’os) (voir ce blog).
Une recherche dans le facsimile des œuvres complètes du célèbre chirurgien nous a permis de découvrir l’application du même modèle, à une échelle plus réduite, pour la création d’une lancette (l’auteur parle de « bistory ») pliable (au contraire du couteau d’amputation), destiné à permettre l’opération de phlegmons situés dans l’arrière gorge du patient.
Comme à son habitude, A. Paré (1510 – 1590) décrit parfaitement le mode opératoire :
« Et lors que l’on cognoistra la tumeur être suppurée, la bouche du malade sera ouverte avec un speculum oris cy-dessus escrit, & la tumeur sera percée avec une longue bistorie ou lancette courbée, semblable à celle-cy. Après l’ouverture faite, on usera de gargarismes mondificatifs. »
La forme de l’instrument est effectivement bien adaptée à passer au dessus du dos de la langue afin d’atteindre l’arrière gorge.
Texte et dessin de l’ouvrage d’Ambroise Paré
La reconstitution
Afin de reconstituer cet instrument, nous avons fait appel au savoir faire et aux connaissances historiques de deux « pointures » de l’artisanat de reconstitution historique : Alex Dubois (coutellerie nuage) pour la reconstitution du manche, et Gaël Fabre, forgeron qui avait déjà réalisé pour nous des copies de couteaux d’amputation, d’après des calques d’originaux appartenant aux collections du musée de la médecine de Paris.
Alex et Gaël au Marché de l’histoire de Compiègne en 2017
Les choix pour la reconstitution
Le problème de la reconstitution d’une pièce à partir d’un ouvrage ne précisant pas la dimension de l’objet, ou ne le représentant pas en utilisation, est le manque d’échelle. En l’absence d’élément de comparaison par exemple une partie du corps humain, la reconstitution se base sur l’utilisation envisagée et sur le principe de l’adaptation de l’outil à la main du praticien. A l’époque de fabrication de la lancette originale d’Ambroise Paré, il n’existe pas encore de production en série des instruments. Celle-ci ne prendra véritablement son essor qu’au 19ème siècle avec de grandes maisons comme Charrière (voir par exemple J.P. Martin « Instrumentation chirurgicale et coutellerie en France des origines au XIXème siècle », 2013, L’harmattan). De fait la dimension de la lancette est calculée pour tenir confortablement dans la main de Dame Clotilde.
Pour le choix des matières, nous avons opté pour le manche pour de l’ivoire (de mammouth), matériau communément utilisé pour des instruments de chirurgie, et cohérent avec la finesse de gravure attendue. Alex Dubois s’est chargé de cette partie du projet, réalisant une première pièce avec un manche fabriqué en plusieurs plaquettes rivetées, puis une seconde pièce avec un manche plein. Cette deuxième solution nous a paru plus en adéquation avec l’utilisation de l’instrument et des exemples d’autres instruments apparentés visibles en collection. Pour la lame, Gaël Fabre a proposé un acier feuilleté, technique communément utilise à l’époque afin d’obtenir des lames résistantes et conservant un bon tranchant à l’usage.
A gauche, prototype avec plaquettes assemblées, à droite version à manche plein
La lancette avec la lame repliée dans le manche
Lancette ouverte pour utilisation
L’instrument est parfaitement adapté à la main du praticien pour lequel il a été conçu.
Remerciements
Un grand merci à Alex et Gaël pour leur implication dans ce projet qui a abouti à une magnifique reconstitution de la lancette d’Ambroise Paré.
Il vient enrichir notre collection multi-époques d’instruments de médecine et chirurgie.