Un peigne du Moyen Age

- 9 Mar 2025 -

Nous vous présentons aujourd’hui la copie d’un peigne médiéval en bois, qui vient de rejoindre notre collection. C’est une reproduction fidèle d’une pièce des collections du musée du Louvre (Département des Objets d’art du Moyen Age, de la Renaissance et des temps modernes) exposée au Musée national du Moyen Age (musée de Cluny – Paris).

Une pièce exceptionnelle reproduite avec talent

Le peigne original, à double endenture, est un modèle ajouré caractéristique de ce qui pouvait se faire de mieux dans le domaine à la fin du Moyen Age (pièce datée du dernier quart du XVème siècle / premier quart du XVIème siècle). Réalisé en buis, il porte d’un coté une courte maxime « pences à la fin » et de l’autre est équipé de deux petits volets coulissant permettant d’occulter deux petits miroirs en métal poli.

Le peigne médiéval profane d'origine avec son système de volets coulissants

Détail de la face munie de miroirs et du système de volets coulissants

Ce projet de reconstitution répond à notre ambition de présenter des pièces sourcées dans le domaine de l’hygiène et de la cosmétologie au bas Moyen Age. Il a été mené à bien grace au talent de l’artisan italien Ezio Zanini

Peigne médiéval XVème original exposé au Musée du Moyen Age de Cluny

Pièce originale exposée au Musée du Moyen Age de Cluny

Copie du peigne réalisée par Ezio Zanini

Facsimile du peigne original

Un accessoire de toilette quotidien omniprésent

Le peigne est l’un des accessoires de beauté et d’hygiène, les plus anciens. Des chercheurs de l’université hébraïque de Jérusalem aurait découvert un peigne en ivoire datant de 1700 av J.C. à Tel Lachish. Le plus ancien peigne connu, daterait de 8000 avant J.C. Un autre, retrouvé à Spiennes daterait du Néolithique.

Plus près du Moyen Age, le monde Romain, soucieux de son apparence et friand de cosmétologie, utilise largement le peigne dont on a retrouvé des exemplaires, notamment en os, ou en ivoire pour les plus précieux.

Bien que les habitudes en termes de recours à la cosmétologie aient évolués en Europe de l’Ouest lors de la chute de l’Empire Romain d’Occident, il apparait que le peigne reste bien ancré dans la vie quotidienne du monde séculier tout au long du Moyen Age et ce, dès le Haut Moyen Age.

Marie-Hélène Rutschowscaya (à présent conservateur honoraire au musée du Louvre) a ainsi décrit certains d’entre eux, du haut Moyen Âge, conservés dans les collections dudit musée :

« Ils sont en buis souvent décorés d’ocelles ou de décors élégants. Ce sont des peignes de toilette d’utilisation quotidienne et profane. Ils se rangent parfois dans des étuis de cuir. Ils appartiennent indifféremment à des hommes ou des femmes. Il est possible que certains aient été offerts comme cadeau de mariage »

Les peignes séculiers en bois ont au demeurant été largement documentés et classifiés à travers les centaines d’exemplaires exhumés (voir par exemple l’article d’archéologie médiévale (N°38, pp 41-59) de Pierre Mille sur les « Peignes de toilette en bois à double endenture du Xe au XVIIe en Europe Occidentale« ).

 Ces objets sont bien distincts des peignes liturgiques utilisés lors des célébrations sur une période allant de vers le IVème siècle jusqu’au XVIème. Ces exemplaires sont en général en matériaux précieux (ivoire, or, pierres précieuses ou semi précieuses…) et sont bien distincts de leurs homologues profanes en bois (buis en général).

Peignes médiévaux liturgiques

Deux peignes liturgiques : v. 620 dit de Saint Loup – Musée de Sens (gauche), v. 870 – Musée du Louvre (droite)

Un objet marqué par son époque

Le peigne que nous avons fait reproduire présente des caractéristiques, qui en font à la fois un représentant assez classique de ce type d’objet, mais aussi un exemplaire ambigüe bien que parfaitement explicable.

Son coté classique est lié à sa forme et à son matériaux. Le peigne en bois ajouré et à double rangée de dents est un classique du Bas Moyen Age. On le trouve souvent orné d’un coeur, parfois complété d’une courte maxime, comme dans le cas de cet exemplaire du Cleveland Museum of Art portant la devise « mon coeur aves pour bien » (« je vous ai donné mon coeur » ou « vous avez ravi mon coeur ») réparti sur les deux faces.

Peigne profane XVème du Cleveland Museum of Art

Peigne profane du XVème, possiblement cadeau de mariage

L’incrustation d’éléments dans le bois n’est pas non plus atypique, comme par exemple dans cet exemplaire conservé au Musée de Cluny et ayant été fabriqué pour la duchesse de Bourgogne, Marguerite de Flandres (1350-1405).

Peigne profane de Marguerite de Bourgogne exposé au Musée du Moyen Age de Cluny

Peigne de Marguerite de Flandres

Ce qui est intéressant dans le cas du peigne que nous avons fait reproduire, est qu’il se rattache à une pratique de cosmétologie (alliance du miroir et du peigne), condamnée par l’Eglise, tout en portant une devise moralisatrice, « pences à la fin » qui se rattache au Bene moriendi et donc dans la lignée des préceptes de ladite Eglise.

Il illustre en quelque sorte la dualité de l’homme médiéval, plongé dans le monde tangible et immédiat de sa vie terrestre, mais concerné par le devenir de son âme dans un monde intangible dans lequel il doit renaître. Il est assez symbolique que ces deux aspects soient matérialisés par les deux faces opposées du peigne.

Le coté portant les miroirs se rattache aux pratiques d’embellissement du corps physique (decoratio, ornatu) qui ré-émergent dans le courant du Moyen Age « classique » (XI-XIIIème siècles) avec notamment des textes comme le De ornatu mulierum (de l’ornement des femmes) aussi désigné sous le nom de Trotula minor, maintes fois repris au cours du Moyen Age. Les pratiques associées sont condamnées par l’Eglise comme relevant de deux péchés capitaux : orgueil (opposition/rébellion vis à vis de Dieu, puisqu’on cherche à modifier le corps qu’il nous a donné) et luxure (image de la femme tentatrice, l’Eglise adressant évidemment l’ensemble de ses reproches à la femme bien qu’il soit établi que les hommes avaient également recours aux pratiques de cosmétologie). Nous avions évoqué ces points lors de notre conférence à Normannia.

Le nombre de sermons et prêches qui se succèdent au Moyen Age, du XIIIème au XVème siècle (Etienne de Bourbon (1190-1261), Jean Gobi le Jeune (13??-v.1350), Jacques de la Marche (1393-1476)…) montrent que ces pratiques, bien que condamnées, ont été utilisées par le monde séculier de façon continue.

Selon ces textes, cette « tyrannie de la chair », marque de la domination du corps mortel sur l’âme immortelle. Elle conduit immanquablement à la damnation et les termes employés pour la décrire sont très durs pour l’époque (« vains ornements », « masque du démon » pour parler du visage de la femme fardée).

Deux objets symbolisent cette pratique : le peigne et le miroir, rassemblés dans le peigne reproduit. Ils sont très fréquemment représentés ensemble lorsqu’on évoque les points condamnés par l’Eglise. C’est le cas par exemple de leur association avec le personnage de la sirène qui mène les hommes à leur perte et sont toujours soucieuses de leur apparence.

Enseigne médiévale représentant une sirène avec miroir et peigne

Enseigne représentant une sirène avec miroir et peigne (Musée de Cluny)

Les enluminures de textes moralisateurs présentent également fréquemment ces objets entre les mains des femmes s’adonnant à la cosmétologie. Par exemple le livre des bonnes mœurs de Jacques Legrand (v1360-v1425) présente un conte où une femme adepte de cosmétologie, morte et donc damnée, revient prévenir son amie de ce qui l’attend si elle ne renonce pas à ses coupables activités. Cette dernière est représentée tenant miroir et peigne. 

Enseigne médiévale représentant une sirène avec miroir et peigne

Détail d’une enluminure du livre des bonnes moeurs (v. 1490 – Chantilly, musée de Condé)

Au sujet du peigne reproduit, on peut légitimement se poser la question de savoir si les deux petits panneaux coulissant ont pour but de protéger les miroirs métalliques ou de dissimuler leur présence pour « sauver les apparences » et présenter un aspect moralement plus acceptable.

L’autre face du peigne porte, quant à lui, une devise « pences a la fin » qui s’inscrit totalement dans la démarche des « memento mori » (souviens toi que tu mourras). Celle-ci est typique du bas Moyen Age, influencée par la « Grande mortalité » communément nommée « peste noire ». Elle rappelle à tout bon chrétien qu’il devra un jour paraître devant son créateur, que la mort peut survenir à tout moment, et qu’elle peut emporter un vivant en très peu de temps. Il est donc important d’être prêt à tout moment en respectant les préceptes chrétiens pour « bien mourir » (bene moriendi).

Pour un rappel constant, les formes de ce rappel sont diverses, des courtes phrases comme sur le peigne, aux ouvrages tels que l’Ars moriendi (v.1465), en passant par un art funèbre comme dans les danses macabres ou des objets du quotidien.

Elément de danse macabre tel que reproduit du cimetière des Saints Innocents à Paris

Extrait de la danse macabre qui ornait la galerie du cimetière des Saints Innocents à Paris

Memento mori sur étui à tablettes de cire

Memento mori sur un étui à tablettes de cire (réalisation atelier à cuir ouvert)

Un projet en cours de réalisation

La fabrication d’un facsimile de ce peigne s’inscrit dans un projet plus large.

Il sera à terme rangé dans une boîte en cuir datant de la même époque, inspiré de « l’estuy de chambre » illustré dans l’ouvrage de Gilles Corrozet (1510-1568) intitulé « les blasons domestiques » (1539) à réaliser par l’atelier à cuir ouvert.

Etui à peigne d'après "les blasons domestiques" de Gilles Corozet en 1539

Illustration de l’étui dans le livre des blasons domestiques

Il y sera rangé avec la reproduction d’un autre objet utilisé pour se coiffer : un gravoir déjà présent dans notre collection, réalisé par Bikkel en Been.

Gravoir XVème

Reproduction en os d’un gravoir du bas Moyen Age

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