Notre définition de la rigueur historique ?

- 4 Avr 2024 -

A la suite d’une série de billets sur notre facebook il nous semble important de définir ici ce que nous entendons par rigueur historique dans le cadre des activités de Scalpel et Matula sur l’histoire de la médecine, l’histoire de la chirurgie et l’histoire de l’apothicairerie.

C’est l’expression de notre « contrat moral » vis à vis d’un site, un organisateur, une association… qui choisit de faire participer Scalpel et Matula à un événement, qu’il s’agisse d’une animation en costume, d’une conférence, d’un travail de présentation en exposition ou autre.

Un terme à géométrie variable

Un passage sur le net prouve que les termes « historiquement sourcé », « historiquement correct », « travail rigoureux et sourcé » ou encore « expérience historique immersive » recouvrent des réalités on ne peut plus incertaines et fluctuantes.

A un bout du spectre, on peut être face à un travail de recherche historique rigoureux, largement documenté, basé sur les données d’époque, présenté dans un cadre représentant au mieux celui de l’époque évoqué (costume, objets, environnement/décors) avec un souci constant du détail.

A l’autre bout du spectre, on pourra trouver une représentation « fantasmée », basée au mieux sur quelques articles généralistes mal compris et présentée sans soucis de qualité, tant par exemple sur les costumes que sur le matériel employé. Extrapolations douteuses (quand il ne s’agit pas simplement de pures inventions) côtoient ici les anachronismes dans un joyeux mélange réputé représenter une époque dans une « reconstitution sérieuse et sourcée »…

L’historiquement approximatif (ou pire), le public et les sites

Au-delà de la simple honnêteté qui commande de faire son meilleur effort pour une évocation de qualité, la zone « approximative » du spectre évoqué ci-dessus fait deux victimes collatérales : le public et l’événement et à travers lui, le site d’animation.

Le public ne vient pas a priori prendre un cours d’histoire (affirmation évidemment à moduler, suivant que l’on fait allusion à une animation en costume sur une fête historique ou une conférence sur un sujet précis). Pourtant, à la fin de l’animation, il supposera que ce qui lui a été montré est une bonne représentation du sujet. Cette conviction viendra du fait qu’il pensera avoir affaire à travail de recherche historique sérieux comme la présentation de ces animations le sous entende. On imagine les idées fausses, les préjugés et autres qu’une animation de piètre qualité, pourrait entraîner ou renforcer. Sans compter le sabotage du travail d’autres reconstitueurs plus stricts dans leurs recherches historiques.

L’expérience est d’autant plus dommageable que le cadre de la présentation peut être prestigieux et chargé d’histoire. Une présentation de qualité médiocre, dans un magnifique lieu historique, rejaillira sur l’ensemble du site et n’entraînera aucun éloge de la part de l’auditoire. A l’inverse une animation d’excellence restera dans le souvenir des spectateurs et ainsi ils recommanderont le site à d’autres visiteurs potentiels !

Nos exigences en termes de rigueur historique

Scalpel et Matula réalise un travail de vulgarisation scientifique dans le domaine de l’histoire de la médecine, l’histoire de la chirurgie et l’histoire de l’apothicairerie/pharmacie. Si l’on s’en tient aux animations en costume, qui couvrent le périmètre d’intervention le plus large (comparé aux conférences, expositions…) Nos exigences recouvrent trois domaines distincts : l’animation, le discours d’historien des sciences et le matériel historique, original ou reconstitué.

– L’animation

L’animation peut sembler le plus simple des trois domaines mais nous avons à cœur de lui apporter autant d’attention qu’aux deux autres.

Les animations en costume sont réalisées en tenues reconstituées aussi fidèlement que possible ou originales lorsque c’est réalisable. Ceci passe à la fois par le soutien de costumiers historiques reconnus comme étant des références dans leur domaine ou directement par des historiens. Par exemples nos tenues de la période Gallo-Romaine ont été réalisées par une archéologue ayant travaillé sur le site de Pompéi ; nos tenues Renaissance sont copiées de tableaux d’époque… Les accessoires tels que chaussures, cuireries, petits objets sont tous identifiés, sourcés (lieu de fouille, identification dans les collections de musées ou particulières et réalisés par des artisans utilisant autant que faire se peut, les techniques de fabrication d’époque. Par exemple les chaussures médiévales sont cousues retournées, faites main, les ceintures sont réalisées à partir de représentations d’époque…

Reconstitution de costumes XIIIème et Gallo-Romains

Costumes utilisés pour les animations XIIIème et Gallo Romaines

Surtout, l’idée étant de donner une représentation correcte des intervenants suivant l’époque représentée, nous prenons la plus grande attention à ne pas gâcher le travail de recherche sur le costume par des accessoires anachroniques : pas de lunettes modernes, pas de bijoux modernes, pas d’éléments de vêtements modernes tels que bonnet, gants, mitaines modernes… Tous ces problèmes du quotidien (myopie, froid…) trouvaient déjà leurs solutions aux époques que nous évoquons. Il n’est pas difficile de reproduire ce qui se faisait alors en s’équipant en conséquence.

– Le discours

Le discours historique est, lui, construit sur le principe que « c’est aux sources historiques qu’on étanche sa soif de connaissances« . A ce titre, nos interventions se basent le plus possible sur les traces écrites dont nous disposons.

Beaucoup de textes étant en latin (en entier ou partiellement, les textes de pharmacie présentant souvent les recettes en latin… et le premier codex de pharmacie français de 1818 était encore en Latin), nous utilisons soit une traduction directe pour les textes courts, soit des traductions d’auteurs reconnus pour le sérieux de leur travail, soit encore une combinaison des deux. Le recours aux sources écrites originales nous assure d’identifier en détails leur contenu, de trouver des éléments de comparaison entre auteurs ou époques et ainsi de suivre des évolutions et des tendances. Nous prenons en compte les différentes éditions pour les textes imprimés, ou les textes comparés des copies existantes dans le cas de manuscrits.

Les articles parus dans des revues spécialisés nous sont également utiles de même que des publications ou ouvrages de synthèse d’auteurs reconnus, spécialisés dans le domaine de l’histoire de la médecine, chirurgie ou apothicairerie (attention aux experts auto-proclamés). Nous ne manquons pas dans ce cas, de piocher dans les notes et la bibliographie pour vérifier les sources utilisées et les affirmations qui nous intéressent. Ceci permet parfois de détricoter des idées reçues comme par exemple le fameux « ecclesia abhorret a sanguine » (l’Eglise a horreur du sang) qui perdure dans l’histoire de la médecine depuis fort longtemps (voir l’article sur la chirurgie au Moyen Age).

Evidemment ceci a un prix, et si les textes en format pdf ou autre ne nous posent pas trop de soucis de stockage, nous considérons avec une inquiétude certaine et grandissante le jour où il nous faudrait déplacer les quelques 500 ouvrages, orignaux et facsimile de notre collection.

facsimile et originaux de livres d'apothicairerie et de médecine anciens

Quelques uns de nos facsimile et originaux

Nous attachons beaucoup d’importance aussi à recontextualiser les sources et à ne pas faire dire à un texte ce pour quoi il n’a pas été composé. Il est par exemple absurde de considérer qu’un écrit législatif, comme le Capitulaire de Villis (v.810) qui décrit la façon d’administrer les domaines de Charlemagne, soit une somme de savoir exhaustive sur les plantes utilisées pour le soin à l’époque. Ce n’est pas un texte médical, et s’il présente bien des plantes médicinales il n’en précise pas l’usage (il a en outre probablement été écrit par un non sachant en médecine) et aussi il passe sous silence toutes les plantes sauvages largement exploitées à l’époque.

Une dernière précision sur ce point du « discours » est qu’il est essentiel de ne pas tomber dans la facilité qui consiste à supposer que certains savoirs présentant peu de technicité n’ont pas ou peu évolué. C’est typiquement le cas de l’herboristerie pour qui les connaissances et pratiques actuelles (même si la France a eu la mauvaise idée de supprimer cette spécialité des formations universitaires) ne sont à l’évidence pas un reflet de ce qui se pratiquait au Moyen Age ou dans l’Antiquité. Les bases scientifiques ont évolué avec les connaissances et les utilisations de plantes aussi (l’utilisation du millepertuis au Moyen Age est plutôt ciblée sur les brûlures alors que désormais il est plus utilisé dans le traitements des états dépressifs, de légers à modérés).

Ceci nous ramène également au fait que si les sciences évoluent, notre connaissance actuelle des sciences anciennes évolue tout autant. C’est pourquoi nous n’hésitons pas à remettre en cause notre discours et à le faire évoluer au gré des progrès de la recherche historique.

Nous prenons soin également, en cas de doute, de nous adresser à des référents universitaires ou chercheurs pour valider des hypothèses ou trouver une information spécifique. Enfin nous restons ouverts à la critique constructive pour autant qu’elle s’accompagne de preuves sourcées.

– Le matériel présenté

Troisième pilier de la vulgarisation scientifique, le matériel est volontiers et trop souvent l’objet de toutes les approximations ou de l’esprit fantaisiste des intervenants. Entre les anachronismes (mêler par exemple des contenants médiévaux d’apothicairerie avec des bouteilles et verres de laboratoire XIXème, quand il ne s’agit pas de verres Ikéa ou de pots à confiture), les inventions pures et dures (les instruments modernes de carrosserie type marteau à boule Facom présentés comme des outils de chirurgie), les « à peu près » en mode « ça ressemble à quelque chose donc ça sera bien suffisant pour le public » (par exemple une seringue en laiton pour huiler les boîtes de vitesse, présenté comme un clystère… au Moyen Age, qui ne connaît pas d’ailleurs le clystère au sens de l’objet en étain) les exemples sont nombreux. Ajoutez à cela des mauvaises compréhensions d’illustrations d’époque par des fabricants, comme un certain set de chirurgie médiévale avec une scie sans manche et des écarteurs (araignes) avec des crochets pivotés de 90° par rapport à la normale.

Sur le plan du matériel, notre approche est de nous appuyer sur des objets reconstitués le plus fidèlement possible, voire, pour les époques les plus proches de nous, des originaux (livres, instruments médicaux ou chirurgicaux, microscope etc..)

Là encore l’aide d’historiens nous est précieuse, en appoint de notre travail de recherche sur des illustrations (et les textes décrivant les objets et leur utilisation), et sur les objets survivants dans les musées sur base de calques, photos ou encore notices d’inventaires.

Reconstitution de lancette d'Ambroise Paré

Lancette d’Ambroise Paré reproduit de sa chirurgie

Nous confions nos projets de reconstitution à des artisans confirmés et connus pour leur sérieux dans la réalisation de copies d’objets anciens. Leur aide aussi nous est précieuse pour aller par exemple identifier des contenants, des instruments… attachés à un lieu de fouille ou autre indication précisant l’époque de l’objet.

Pour les pièces originales, nous réalisons leur datation par différentes méthodes qui vont de la recherche dans les textes ou les illustrations, à la recherche dans des catalogues d’époque pour des objets manufacturés.

En tout état de cause, nous mettons un point d’honneur à ce que le matériel présenté, mis en exposition, et parfois entre les mains du public soit sourcé, reproduit le plus à l’identique que possible, ou soient des originaux.

Nous faisons en sorte également d’être en mesure d’en expliquer/démontrer le fonctionnement et/ou l’utilisation.

miel rosat d'après l'antidotaire Nicolas

Reconstitution de miel Rosat suivant l’antidotaire Nicolas

Un soucis de qualité est fait aussi sur les matière premières utilisées. Par exemple les plantes médicinales que nous présentons sont de qualité herboristerie. Enfin nous faisons autant que faire se peut et sans mettre en danger le public, les préparations de spécialités médicinales pour pouvoir les présenter au public.

En conclusion

Au terme de ce texte peut être parfois un peu « aride », nous souhaitons préciser que notre souci est de réaliser une animation de qualité historique, tant par respect du public que de celle des organisateurs, et cela n’implique aucunement que notre discours soit austère et pompeux.

Au contraire, nos interventions jouent beaucoup avec l’humour, les anecdotes historiques et l’interaction bienveillante avec le public. Les questions posées nous permettent de rebondir sur les sujets, avec parfois quelques disgressions temporelles. Celles-ci ne semblent pas poser de problème aux visiteurs et il n’est pas rare de voir des personnes rester plusieurs heures sous notre auvent, en quelque lieu ou époque (évoquée) que ce soit.

Animation Scalpel et Matula
Animation Scalpel et Matula
Animation Scalpel et Matula

Notre récompense : le public sous notre auvent… pour souvent plusieurs heures !

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