Le recensement récent de cas de peste en Chine et en Mongolie évoque les sombres heures de la pandémie qui, atteignant l’Europe courant 1347 a causé la disparition d’entre le tiers et la moitié de sa population en l’espace de 5 ans. Quand on constate l’effet psychologique et la panique provoquée par le Covid 19, qui ne présente pourtant qu’une létalité (proportion des décès par rapport aux malades) de 0,53%, on imagine aisément que la peste noire, qui elle avait un taux de létalité s’étalant de 40-80% (forme bubonique) à 100% (forme pulmonaire), a pu durablement marquer les esprits et provoquer des changements sociétaux majeurs.
Nous avons évoqué ces différents aspects dans un article à paraître prochainement dans la revue Moyen Age (facebook).
La composition de cet article nous a amené à revisiter certains lieux communs ou « légendes urbaines » sur cette peste noire que nous reprenons ici.
Le costume de la peste
Commençons par les soignants et surtout par l’emblématique costume des médecins de la peste. Nous avons tous en mémoire le célèbre costume noir, couvrant toutes les parties du corps du praticien à l’exception du visage, protégé, lui, par un masque blanc garni d’un long bec et de lunettes. l’ensemble donne à la silhouette du médecin une inquiétant forme mi-corbeau mi-humaine et l’ensemble est volontiers décrit comme le costume porté par les praticiens luttant contre la peste à la fin du Moyen Age.
Costume de la peste représenté en 1656
La réalité est toute autre. Si ce costume a bien été utilisé pour protéger les médecins prodiguant des soins aux malades atteints de la peste, il ne s’agit pas d’épisodes médiévaux mais bien d’événements plus tardifs.
C’est en réalité l’invention de Charles Delorme (1584 – 1678), médecin de Louis XIII. Ce costume fut mis au point lors de l’épisode de peste touchant Paris en 1619. Il a pour principal objet d’isoler le mieux possible le praticien de l’air ambiant. Rappelons en effet qu’une théorie majeure à l’époque est que l’épidémie naît de l’air malsain. Ceci explique l’utilisation de « maroquin » (un cuir de chèvre offrant une quasi imperméabilité à l’air), de bottes, de gants, d’un masque et de substances odoriférantes et aromatiques : ail, rue fétide, encens… l’idée est de purifier l’air respiré par le médecin par l’emploi de ces diverses substances.
Ceci découle directement de théories antiques, en particulier celle du miasme exposée par Vitruve (v.90-v.15 av. J.C.) dans son traité d’architecture et étendues durant le Moyen Age. Partant du principe que le malsain sent mauvais (Vitruve donne l’exemple des marais), l’idée s’est petit à petit imposée que la bonne odeur est la marque d’un air sain. Par extrapolation, charger l’air de substances odoriférantes revient à le purifier, d’où l’idée de ce masque en long bec d’oiseau, destiné à contenir plantes odoriférantes ou éponges imbibées d’extraits aromatiques.
Les moyens de protection
Puisque nous en sommes aux odeurs, passons à une autre préparation souvent citée comme une invention médiévale : le vinaigre des quatre voleurs.
Ce dernier est attaché à une légende : au cours d’une épidémie de peste, quatre détrousseurs de cadavres se seraient protégés de la maladie à l’aide d’une préparation à base de vinaigre, d’ail et de plusieurs plantes aromatiques. Arrêtés par les autorités, ils auraient échangé le secret de leur décoction contre la clémence du juge. A l’instar du costume des médecins de la peste, le principe est encore une fois de purifier l’air ambiant.
Si ledit principe est bien connu et appliqué au Moyen Age, la réalisation sous forme de ce vinaigre est bien plus tardive. Ce dernier paraît n’avoir été inventé que lors d’un épisode de peste touchant Toulouse en 1628. Pour terminer ce rapide tour des idées reçues dans le domaine, on peut à présent s’intéresser à la pharmacopée et aux plantes composant des remèdes et protections contre la peste. Nous avons déjà évoqué les plantes aromatiques classiques (romarin, rue, ail…) mais c’est à une autre plante, également aromatique, que nous allons à présent nous intéresser, nommément l’angélique.
Quelques apiacées tirées du Tractatus de Herbis (Italie v.1440)
Cette belle ombellifère (famille des apiacées) est connue depuis l’Antiquité. On lui attribue dans les herbiers et recueils de pharmacopée médiévaux des vertus diverses, notamment dans le domaine de la régulation des fonctions digestives, de l’expulsion des mauvaises humeurs du corps (expectoration, sudation, mais aussi gaz et « mauvais airs ») voire de protection contre le poison. Quoi d’étonnant de la part d’une plante dont le nom dérive traditionnellement des archanges (son nom scientifique actuel établi au XVIIIème siècle, Angelica archangelica L. le reflète bien) en particulier Raphaël, le guérisseur, dont la tradition veut qu’il ait révélé aux hommes les vertus curatives de cette plante ?
C’est pourtant bien après la fin du Moyen Age que l’angélique sera associée à la protection contre la peste. Elle sera en effet utilisée à cette fin en 1603 à Niort pour lutter contre un épisode épidémique qui sévit alors dans la région des marais poitevins. Peut être les éloges de Paracelse (1493-1541) pour cette plante qu’il qualifiait de « médicament merveilleux » ont-elles participé à ce choix.
En tous cas, loin de son utilisation curative, elle est à présent plutôt associée à la cuisine sous sa forme confite !