L’amputation : une technique qui vient de loin
Nous allons parler des amputations et pour commencer nous allons nous diriger vers la Renaissance. Pourquoi ne pas commencer par l’Antiquité ou le Moyen Age ? parce que nous ferons référence aux pratiques plus anciennes grâce aux chirurgiens du XVIème siècle.
Il existe plusieurs méthodes en matière d’amputation :
– trancher au niveau des articulation (désarticulation)
– trancher n’importe où au-delà de la blessure ou de la gangrène
On peut aussi laisser pourrir le membre gangrené afin qu’il tombe de lui-même. Cette pratique est surtout utilisée pour «soigner» une gangrène. Elle est décrite par nombre de chirurgiens (Guy de Chauliac (1300 – 1368), Ambroise Paré (1510 – 1590), Jean Tagault ( ? – 1546)…). Ce n’est pas à proprement parlé une amputation.
Les trois méthodes existent au Moyen Age.
La désarticulation avait la préférence d’Henri de Mondeville (1260 – 1321?) mais il pratiquait également la deuxième technique. Guy de Chauliac lui privilégie plutôt la dernière pratique.
Qu’en est-il à la Renaissance ?
Pour ce qui est de la troisième recette, le pourrissement du membre, Jean Tagault se range du côté de Guy de Chauliac :
« … Aucun à cette même fin, appliquent des sangsues, et ouvrent les petites veines mesmement les plus près, toutes fois ces profondes sections ou scarifications sont beaucoup plus efficace pour guérir ce mal… ».
Guy de Chauliac utilise cette tactique pour une amputation, car dit-il :
«…car tousjours quand on le tranche, il en demeure quelques ranqueur ou regret et pensement au malade qu’il luy pouvoit demeurer. »
Les deux premiers procédés, trancher en dedans ou en dehors des articulation, sont appliqués diversement selon les chirurgiens et les circonstances.
Il est à noter que beaucoup de chirurgiens, n’étant pas particulièrement des chirurgiens ayant fréquenté les champs de bataille, citent les amputations comme ultime dernier recours à la gangrène.
Jean de Vigo (1450 – 1525), dont l’ouvrage traite des blessures de guerre expose surtout les blessures par arquebusades. Il nous faut donc voir le livre de Hans Gersdorff (1455 – 1529) pour voir une illustration d’une amputation. Hans Gersdorff est un chirurgien allemand qui a officié sur les champs de bataille tout comme Ambroise Paré (1510 – 1590).
Chirurgien pratiquant une amputation (chirurgie d’Hans Gersdorf)
Autre représentation d’une amputation dans l’Opus Chirurgicum écrit par Paracelse (1493 – 1541) dans son édition de Franckfort de 1565. On y voit une scène d’amputation à mi-jambe. Comme dans la représentation de Gersdorf un aide est présent mais ici il soutient le patient.
Chirurgien pratiquant une amputation (chirurgie de Paracelse)
On notera sur cette représentation tout le matériel figuré posé au sol : le pennarol (deux en fait : un ouvert à gauche et un allongé fermé à droite), les attelles pour ce qui apparait être une fracture ouverte grave, les pelotes de charpie, les boites à onguent, le baquet…
Des évolutions notables
Examen des sources
Comparons la technique d’Henri de Mondeville et celle d’Ambroise Paré.
Mondeville explique :
« Le membre à couper au niveau de l’articulation ou à scier où que ce soit, sera lié par deux bandes ou deux manutergium, l’un près de l’extrémité de la gangrène, et l’autre près de l’extrémité de la partie saine [afin que] Le malade grâce à la constriction de la ligature sente moins l’opération, on soulèvera le membre afin d’éviter l’écoulement du sang […] La manière de scier l’os est la suivante : entre les deux ligature sus dites […] le chirurgien divisera circulairement les chairs jusqu’à l’os […] avec un linge humide ou du cuir il recouvrira la chair de per de la blesser en sciant… »
La suite est une cautérisation ignée, soit à l’aide de cautères chauffés à blanc soit avec de l’huile bouillante, comme indiqué par Avicenne (980 – 1037) ce qui, dit il, empêche la corruption. Henri de Mondeville prévoit dans le matériel a utiliser des aiguilles quadrangulaire pour lier les vaisseaux. Il semblerait toute fois que cette méthode ne soit pas très employée par nombre de chirurgiens, préférant la cautérisation.
Voyons maintenant le procédé d’Ambroise Paré :
« …fais une ligature extrême un peu au-dessus du lieu que l’on voudra amputer, avec un fort lien délié et de figure plate comme ceux desquels les femmes lient leurs cheveux. Icelle ligature sert à trois choses : la première est qu’elle tient […] le cuir et les muscle vers le haut. Afin qu’après l’œuvre ils recouvrent l’extrémité des os qui auront été coupés […] La seconde est qu’elle prohibe l’hémorragie ou le flux du sang […] La troisième est qu’elle rend obtus et ôte grandement le sentiment de la partie. »
« […] donc après la ligature forte ainsi faite, faut promptement couper tous les muscles et autres parties jusqu’à l’os avec un rasoir bien tranchant ou un couteau courbe […] Après avoir entièrement coupé toutes les parties jusqu’à l’os […] tu mettra un linge en double au-dessus de l’os que l’on veut scier, de peur que les dents de la scie ne touchent à la chair et ne la déchirent. »
Ambroise Paré
Pour arrêter le flux du sang une fois le membre coupé, Ambroise Paré préconise de lier les grosses veines et artères « si ferme qu’elles ne fluent plus ». Pour cela il utilise une pince de Corbin qui lui permet de tenir fermement le vaisseau pendant qu’il réalise la suture. Il laisse toutefois d’abord couler une certaine quantité de sang pour évacuer tout résidu, caillot ou autre, quantité de sang qu’il évalue selon l’état du patient.
Instruments d’amputation par Ambroise Paré
La célèbre ligature des vaisseaux… mais pas que !
Nous constatons qu’il y a des similitudes entre la méthode d’Henri de Mondeville et celle d’Ambroise Paré. La plus grande différence réside en la ligature des vaisseaux en lieu et place de la cautérisation.
C’est en raison de cet emploi systématique de la ligature de vaisseaux dans le cadre de l’amputation, technique dont on a vu plus haut qu’elle existait déjà au Moyen Age bien qu’elle ait été peu usitée, qu’Ambroise Paré est encore souvent qualifié à tort d’inventeur de la ligature des vaisseaux sanguins.
L’anesthésie n’est par ailleurs nullement évoquée par Ambroise Paré bien que Guy de Chauliac y fasse allusion lorsqu’il cite Théodoric Borgognoni (1205 -1298) et sa spongia somnifera. Nous reviendrons sur ce point dans un blog en préparation.
Une volonté d’appareiller
Les lieux d’amputation pour Ambroise Paré se situent : pour la jambe à 5 travers de doigts sous le genou afin de mettre une prothèse efficace et en ce qui concerne l’avant-bras il préfère se situer le plus proche possible de la main à amputer, toujours dans le but d’appareiller le patient.
Ambroise Paré prend en effet un grand soin de pouvoir limiter l’impact potentiellement dévastateur de la perte d’une partie du corps en s’assurant qu’il pourra installer une prothèse rendant un certain nombre de fonctions (marche, préhension…) possibles malgré l’amputation. Paré décrit ainsi dans ses livres de nombreuses prothèses simples ou à mécanismes.
Exemples de prothèses décrites par Ambroise Paré dans ses ouvrages
Une technique destinée à évoluer encore
L’amputation restera, pendant des années, la seule méthode efficace en cas de gangrène et en préventif et curatif sur les champs de bataille.
Nous reparlerons de cette intervention, dans une deuxième partie située au XIXème siècle. Cette époque sera marquée par de grandes innovations. Ce sera l’occasion aussi de faire un point sur l’évolution de l’amputation post Renaissance… Mais ceci est une autre histoire.
Références
Chirurgie de maitre Henri de Mondeville, chirurgien de Philippe le Bel, roi de France, composée de 1306 à 1320 ; traduction française par E. Nicaise, Paris, 1893.
Les Oeuvres d’Ambroise Paré, conseiller et premier chirurgien du roy, divisées en vingt-sept livres : avec les figures et portraicts tant de l’Anatomie que des instruments de chirurgie et de plusieurs monstres : reveuz et augmentez par l’autheur pour la seconde Edition, Paris, 1579.
Les Institutions chirurgiques de Jean Tagault, docteur en médecine, nouvellement traduictes de Latin en Francoys par ung scavant Medecin. Lyon, 1549.
Feldbuch der Wundartzney, Hans von Gersdorff, Strasbourg, 1530.
De Vigo en françoys. La practique et cirurgie de excellent docteur en medecine Maistre Jehan de Vigo nouvellement imprimee et recogneue diligentement sur le latin avec les aphorismes et canons de cirurgie, composez par maistre Nicolas Godin docteur en medecine lesquelz sont inserez en la fin de ce present livre apres la partie compendieuse. Paris, 1542.
La grande chirurgie de Guy de Chauliac, chirurgien, maistre en médecine de l’univertié de Montpellier : composée en l’an 1363 : revue et collationnée sur les manuscrits et imprimés latins et français ornée de gravures par E. Nicaise, Paris, 1890.