La peste a sévi sur plusieurs siècles en Europe, c’est sans doute une des causes de certains raccourcis fait par quelques reconstitueurs, reprenant des idées reçues parfois « tenaces ». Nous avions déjà abordé le sujet dans un précédent blog mais nous avons vu à nouveau paraître, il y a très peu de temps, une interprétation d’une médication estampillée à tort comme médiévale : le trop célèbre « vinaigre des 4 voleurs ».
Rien ne permet d’affirmer que cette préparation, telle que nous la connaissons, soit médiévale. Au contraire, les traces historiques militent au mieux pour une apparition de ce « vinaigre des 4 voleurs » bien après le Moyen Age, au plus tôt au XVIIème siècle.
Les sources
On trouve le vinaigre (étymologiquement vin aigre ou eigre – mais on utilise aussi aisil ou acetum) utilisé dans la préparation de remèdes dans les traités médiévaux, dont certains sont en utilisation interne (sirop acétique, oxymel ou oxyzacarrej, vomitif…). Pourtant aucun vinaigre aromatisé comme celui des 4 voleurs n’est présent par exemple dans l’antidotaire Nicolas. Cet ouvrage constitue pourtant la référence des apothicaires au bas Moyen Age.
Post Moyen Age, de nombreux traité sur les préservatifs et remèdes contre la peste citent différents vinaigres tel Maurice de Tolon (?? – 1668), qui donne la recette du vinaigre impérial, un mélange de vinaigre blanc avec clous de girofles, de racines d’angélique et d’imperatoire. L’utilisation se fait par l’intermédiaire d’une éponge dans une boule de métal type pommander. On peut aussi se frictionner avec ce mélange. Ces vinaigres sont cités de nombreuses fois dans certaines pharmacopée populaires publiées en temps d’épidémie. Mais ce ne sont pas des recettes identiques à celle de ce vinaigre des 4 voleurs.
Joseph du Chesne, sieur de la Violette (1544 – 1609), mentionne plusieurs vinaigres (vinaigres rosat, de suzeau, de vin…) mais pas de confection se rapprochant de ladite recette des 4 voleurs.
Joseph du chesne, sieur de la Violette, conseiller et médecin ordinaire du roi.
Nous pouvons citer bien d’autres médecins célèbres du XVIIème siècle qui tous parle de vinaigres sans évoquer ce procédé, tel par exemple, Pierre Jean Fabre (1588 – 1658), médecin montpellierain, qui fit en son temps autorité en matière de peste dans le sud de la France entre 1628 et 1632.
Pierre Jean Fabre, médecin spécialiste de la peste
La composition du vinaigre des 4 voleurs que nous connaissons actuellement apparaît dans un « mémoire d’un remède contre la peste approuvé par monsieur Dodart (fils)(1664 – 1730), premier médecin du roi » et daté de 1721.
C’est dans ce texte qu’il est fait allusion à ce fameux vinaigre et à la légende qui veut que ces 4 voleurs étaient toulousains et exerçaient dans cette ville, lors de l’épidémie de 1628, leurs coupables desseins.
Nous recherchons actuellement une trace, dans les archives du parlement de Toulouse, de ce jugement. Si une piste se dessine nous le rajouterons dans le présent blog.
Il est étonnant que Jean de Queyrats, professeur de médecine à l’université de Toulouse ( ?? -1642) n’en fasse pas mention dans son ouvrage : « Bref recueil des remèdes les plus expérimentez pour se préserver et guérir de la peste ». Ayant lui-même vécu cet épisode de peste, il est vraisemblable qu’il n’aurait pas manqué de consigner la recette d’un tel remède puisque ce dernier est décrit comme très efficace.
Jean de Queyrats
De même, Pierre Bienassis ( ?? – ??) publie en 1629 un livre sur les méthodes pour se conserver en temps de peste, s’il décrit divers vinaigres avec d’autres ingrédients, il ne parle toujours pas du « vinaigre des 4 voleurs » et pourtant c‘est un médecin du sud de la France, d’Agen pour être précis que ne se situe qu’à une centaine de kilomètre de Toulouse et dont l’épidémie fait suite à celle de Toulouse.
Conclusion
Cette jolie histoire de « vinaigre des 4 voleurs » dans une acceptation médiévale est donc selon toute vraisemblance une « légende urbaine » parmi tant d’autres. Plus vraisemblablement et jusqu’à ce que de nouveaux documents émérgent pour prouver le contraire, ce « vinaigre des 4 voleurs » est au mieux une invention du XVIIème.
Prétendre le contraire devant le public dans des animations de type vulgarisation scientifique sur l’histoire de la médecine du Moyen Age, c’est induire en erreur les visiteurs sur la foi d’idées reçues. Ca ne constitue en rien une approche sourcée de l’histoire de la discipline.
Bibliographie
Maurice de Tolon, « Preservatifs et remedes contre la peste, ou le capucin charitable, enseignant la methode pour remedier aux grandes miseres que la peste a coutume de causer parmy les peuples… », 1668, à Paris chez la veuve de Denys Thierry
Pierre Bienassis, « Briefve methode pour se conserver en temps de peste. Contenant la preservation & curation de la peste, la sedation de ses accidents ;…dédiée à Messieurs de la Ville d’Agen », 1629, à Tolose par Raimond Colomiez
Claude Jean Baptiste Dodart, « Mémoire d’un remède contre la peste approuvé par monsieur Dodart, premier médecin du roi », 1721, à Paris chez Charles Huguier et André Cailleau
Jean de Queyrats, « Bref recueil des remèdes les plus expérimentez pour se préserver et guérir de la peste », 1652, à Toulouse chez François Boude
Joseph du Chesne sieur de la Violette, « Peste reconnue et combattue », 1608, à Paris chez Claude Morel
Pierre Jean Fabre, « Traicté de la peste selon la doctrine des médecins spagyriques », 1629, à Toulouse par Raimond Colomiez